"En Europe, presque tout est possible à condition de volonté politique"

Publié le par Jeunes européens

Entretien avec Florence Chaltiel, professeure à l'IEP Grenoble.

La campagne européenne n'a pas encore pris, alors que la crise économique mondiale a fait resurgir la thématique très mobilisatrice de l'Europe sociale et protectrice des citoyens. Entretien avec Florence Chaltiel, coauteure avec Benjamin Angel de Quelle Europe après le traité de Lisbonne ? , préfacé par Bronislaw Geremek (LGDJ, 2008). Florence Chaltiel participe également au groupe créé sur Facebook : "Cercle des Européens retrouvés".

"Pour une Europe sociale, contre l'Europe des multinationales et des parieurs", peut-on lire sur la pancarte que porte ce manifestant. | REUTERS/VINCENT KESSLER"Pour une Europe sociale, contre l'Europe des multinationales et des parieurs", peut-on lire sur la pancarte que porte ce manifestant.

L'Europe sociale est-elle le principal enjeu de ces élections européennes ? Si oui, pourquoi la social-démocratie n'est-elle pas en tête dans les sondages ?
Florence Chaltiel : Le problème des élections européennes, c'est que les peuples n'en saisissent pas les enjeux. Non par leur faute, mais parce que depuis les premières élections européennes, en 1979, chaque fois, la campagne est davantage centrée sur des questions nationales que sur des questions européennes. Il est vrai néanmoins que le thème de l'Europe sociale est très présent lorsque l'on parle de l'Europe. Ce thème a été largement utilisé – souvent de manière galvaudée - lors de la campagne référendaire de 2005. L'Europe sociale est un terme très général qui recouvre une réalité multiple.

Pour répondre à la question du lien entre "enjeu d'Europe sociale et social-démocratie dans les sondages", il me semble que c'est essentiellement dû au manque de lisibilité des enjeux et à l'insuffisance des campagnes sur les enjeux européens et ce, quels que soient les partis démocratiques.

En tout cas, les traités donnent une base juridique à l'Europe sociale et il va de soi que la couleur politique du Parlement européen, qui est colégislateur avec le Conseil, influera nécessairement sur le "plus ou moins" d'Europe sociale. Encore faut-il bien souligner et mesurer les pouvoirs de cette Assemblée démocratique.

La gauche européenne se mobilise en faveur de " l'Europe sociale " mais d'après certains observateurs, les traités européens – Rome comme Lisbonne – interdisent toute harmonisation des rémunérations au plan européen ? Or, d'après le traité d'Amsterdam (1997), l'UE s'est dotée d'instruments pour coordonner davantage les politiques sociales. Qu'en est-il au juste ?

Florence Chaltiel : L'Europe sociale est devenue une sorte de label que l'on brandit, soit pour dénoncer son insuffisance, soit pour s'afficher comme favorable à "plus d'Europe sociale". Les traités d'origine ne donnent pas de compétence à l'Europe en matière sociale, car c'est une compétence que les Etats voulaient garder. Ensuite, à mesure que le marché intérieur se constitue, il apparaît nécessaire d'accompagner les règles de libre-circulation d'une protection sociale. Aussi existe–t-il de très nombreux textes de droit qui sont des textes de protection sociale. Pour citer quelques exemples, il en existe en matière d'égalité entre hommes et femmes, en matière de lutte contre la discrimination. Il faut souligner l'importance de la carte européenne d'assurance maladie. Elle permet à chacun d'être remboursé de ses soins dans tout pays européen s'il s'agit d'un acte remboursé dans son propre Etat. Le titre XI du traité Communauté européenne est consacré à l'Europe sociale, et le titre XVII est consacré à la cohésion économique et sociale. L'article 136 du traité donne mission à l'Europe d'assurer "une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d'emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions".

Le même article précise que les Etats " estiment qu'une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché commun, qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par le présent traité et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives ". Le terme harmonisation est donc bien présent.

Cela étant, l'article 137 fixe une série de domaines de la protection sociale où l'harmonisation est interdite. Il faut être lucide sur l'extrême diversité des systèmes sociaux et des rémunérations. Comment harmoniser maintenant, alors que nous sommes vingt-sept systèmes hétérogènes. L'heure est davantage à la coordination et à la recherche de principes protecteurs. Par exemple, est en préparation une législation sur un allongement global du délai de congé maternité.

( NDLR: Voir sur ce point le regard pertinent de Christophe Ramaux dans Le Monde, " L'Europe sociale, mythe ou réalité?" http://matisse.univ-paris1.fr/ramaux/05EuropeSocMythe.pdf Extrait: " Mais il est essentiel, afin que l'élargissement ne se traduise pas par une fuite en avant concurrentielle dans le « moins disant » social. Comment réaliser cet objectif ? Suggérons que deux conditions, étroitement liées, sont requises et devraient former les deux principes généraux du droit social européen. En premier lieu, retenir la norme de la « convergence sociale par le haut », ce que la Constitution ne fait pas. En second lieu, retenir, comme règle systématique, le « principe de non-régression sociale ». Une norme européenne ne s'appliquerait ainsi à un pays membre que si elle apportait un « plus » en termes de garantie sociale.

A défaut de ces conditions, la généralisation du vote à la majorité qualifiée a toutes les chances de faire de l'Europe sociale ce qu'elle est déjà - il suffit de se pencher sur les recommandations du Conseil en matière de politique de l'emploi ou de retraite - devenue : le cheval de Troie du libéralisme.")

Est-il possible de créer un salaire minimum européen ? L'UMP est opposée à cette idée, considérant que " l'Europe sociale n'a pas vocation à gérer nos prestations ". Le salaire minimum légal étant très variable d'un pays à l'autre. Le PS est favorable au nom du progrès social et d'une Europe politique et plus proche des préoccupations des citoyens.

Florence Chaltiel : En Europe, presque tout est possible à condition de volonté politique. Je veux dire par là que les traités ont été pensés de manière suffisamment intelligente pour qu'ils soient un instrument au service du bien commun européen et non une entrave si les Etats s'accordent pour aller plus loin dans leur travail en commun. Aussi rien n'interdit un salaire minimum. Mais celui-ci devrait alors être pensé selon une pondération prenant en compte plusieurs paramètres tel le prix moyen d'un panier par exemple. J'ajoute que la question des salaires ne fait pas partie des secteurs exclus de l'harmonisation selon l'article 137. D'ailleurs le traité pose bien, et ce, depuis l'origine, le principe d'égalité de salaires entre les hommes et les femmes (article 141).

Est-ce que la directive Bolkestein est morte et enterrée ? Ou a-t-elle été saucissonnée et adoptée en partie au Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ? Rappelons que le Parlement européen a réécrit le projet de directive et le "principe du pays d'origine" a été abandonné.

Florence Chaltiel : La directive Bolkestein dans sa dimension "principe du pays d'origine" si décriée, a été entièrement abandonnée. Il reste nécessaire de parvenir à une vraie libre prestation des services au bénéfice du citoyen européen. Or la directive de 2006, si elle réitère la nécessité d'assurer la libre prestation de services et vise à supprimer les obstacles juridiques restant dans les Etats, elle pose aussi une grande liste de services exclus de son champ, par exemple, les services audiovisuels, les services financiers ou encore les services de santé. Les Etats sont réticents à donner un vrai contenu à la libre prestation de service.

En même temps, celle-ci doit être accompagnée de toutes les garanties nécessaires pour la protection des citoyens. Il ne faut jamais oublier de faire la différence, en Europe, entre les objectifs intermédiaires et les objectifs définitifs. Le citoyen est au centre de la notion d'Europe sociale et la libre prestation de service n'est pas un objectif en soi et pour soi. Elle vise à donner un plus grand choix au citoyen et à donner une plus grande transparence quant aux services et quant aux prix.

Les souverainistes parlent d'une "Europe de juste échange". Les socialistes s'intéressent à cette question et l'UMP tend l'oreille. Mais de quoi s'agit-il au juste et comment expliquer ce qui ressemble aux contours d'un consensus. Enfin est-ce que cette idée est compatible avec les règles de l'OMC ?

Florence Chaltiel : La notion d'Europe forteresse a été beaucoup développée aux débuts du traité de Rome. Nos partenaires craignaient une Europe de la libre-circulation pour elle et refermée sur elle-même pour les autres. Cette crainte s'est avérée infondée, si bien que l'on cherche désormais davantage à protéger les Européens. L'OMC a en effet été un instrument fort de libéralisation du commerce international. Les droits de douanes fixés par l'Union sont donc faibles. Aux termes des accords de l'OMC, les pays ne peuvent pas, en principe, établir de discrimination entre leurs partenaires commerciaux. Cependant, des clauses dérogatoires existent et il est possible, par négociation, de déterminer des règles plus protectrices sur certains produits. Cela suppose une Europe réellement unie, solide sur la scène internationale, de sorte de pouvoir réellement peser dans une négociation avec ses partenaires.

Le Monde, 26 mai 2009

 

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